24 avr. 2014

Les belles (et très regrettables) histoires de tonton Charlus





Ou comment Greta Garbo n’effectua pas son retour dans La duchesse de Langeais.

En 1941 Greta Garbo tourne son dernier
film Two-faced woman (La femme aux deux visages) de George Cukor. C’est un gros échec commercial.  La MGM, qui tient à son actrice, signe un nouveau contrat de 150 000 $ pour un nouveau projet de film. Dans The Girl from Stalingrad, Greta Garbo doit incarner une résistante russe pendant la Seconde Guerre mondiale mais l'actrice n'est pas intéressée par ce projet et le rejette. Avec ce dernier refus, l'actrice préfère mettre un terme à ce contrat et Louis B. Mayer ne peut qu'accepter son départ de la MGM, dix-huit ans après son arrivée. Les raisons qui ont poussé la star à quitter aussi vite la major restent floues mais on peut imaginer qu'elles sont multiples - la lassitude des tournages, les décès d'Irving Thalberg, de Mauritz Stiller ou de sa sœur, les changement de goûts du public.

Mais cette retraite anticipée, elle n'a que 36 ans lorsqu'elle quitte la MGM, n'atténue en rien le mythe et le mystère qui restent associés à l'actrice. Greta Garbo va être courtisée par des studios, des producteurs, des réalisateurs qui tiennent absolument à ce qu'elle joue dans leurs films, même pour une apparition. Entre 1943 et la fin des années 60, elle va recevoir une liste de films dont la richesse des scénarios et la qualité des réalisateurs feraient pâlir de nombreux acteurs parmi les plus grands.

Parmi ces films, on peut citer : des remakes de ses propres films comme Flesh and the Devil (prévu en 1950 avec Clarence Brown à la réalisation), Inspiration (prévu en 1948 avec George Cukor à la réalisation) ou Grand Hotel (un téléfilm pour la télévision italienne en 1964) ; des biographies de personnalités telles que George Sand, Cléopâtre, Jeanne d'Arc, Elisabeth d'Autriche, Marie Curie, Sarah Bernhardt, Coco Chanel ou Catherine II de Russie ; des scénarios originaux comme Olympia (tourné en 1960 par Michael Curtiz), Saint Joan (tourné en 1957 par Otto Preminger), Woman of the Sea (jamais tourné), L'Inconnue de la Seine (un projet de Billy Wilder jamais tourné), My Cousin Rachel (avec George Cukor prévu à la réalisation, mais tourné en 1951 par Henry Koster) ou Ulysse (un projet de G. W. Pabst qui est finalement tourné en 1954 par Mario Camerini). Il faut également noter que de nombreux réalisateurs/producteurs envisageaient l'actrice comme leur premier choix pour un rôle dans leurs films : Arch of Triumph (Lewis Milestone), Joan of Arc (Victor Fleming), Anastasia (Anatole Litvak), Sunset Boulevard et Fedora (Billy Wilder), L'Aigle à deux têtes (Jean Cocteau), Les 55 jours de Pékin (Nicholas Ray), Ludwig (Luchino Visconti), Madame Bovary (Vincente Minnelli), The Paradine Case (Alfred Hitchcock), A Royal Scandal (Otto Preminger), Scaramouche (George Stevens) ou A Woman's Face (George Cukor). Dans la majorité des cas, Garbo a refusé le rôle qui lui était proposé mais certains films ont pu dépasser l'étape de la simple proposition. Parmi ces projets, on peut citer l'adaptation par Max Ophuls, du roman La Duchesse de Langeais, curieusement appelée ici ''de Langelais''(sic),  qui représente le projet de come-back le plus avancé de l'actrice.

 
 Le producteur Walter Wanger souhaite produire une adaptation de La Duchesse de Langeais d'Honoré de Balzac avec Greta Garbo dans le rôle titre, James Mason dans celui de Général Armand de Montriveau et Max Ophuls à la réalisation. Le tournage est prévu pour le mois de septembre 1949 dans les studios italiens de Cinecittà où les travaux sur les décors ont débuté depuis le mois d'août. Le choix de l'Italie tient au fait que Walter Wanger s'est allié à Giuseppe Amato et à Angelo Rizzoli, respectivement producteur et éditeur italiens. A la mi-avril, Wanger et Garbo rencontrent les deux hommes dans la chambre d'hôtel de l'actrice, qui fait en sorte qu'ils ne puissent pas détailler son visage sous toutes les coutures en tirant les rideaux et en portant un large chapeau. Peu rassurés par le physique de l'actrice, les deux financiers exigent que Garbo réalise un screen-test, ce qu'elle fait le 5 mai 1949 avec le directeur photo Joseph Valentine. 23 minutes de film en noir et blanc sont tournées et le résultat, superbe, rassure Wanger qui est persuadé qu'il va satisfaire les financiers.
 
 
 
Tout semble réuni pour que le film se réalise ; l'actrice est prête, l'acteur est choisi tout comme le réalisateur et scénariste Max Ophuls, et il ne reste plus qu'à obtenir l'aval des Italiens. Mais malheureusement pour Walter Wanger, rien ne se passe comme prévu et beaucoup de problèmes arrivent d'un seul coup : les deux financiers ne supportent pas de voir le budget augmenter, tardent à apporter leur part de financement prétextant que Garbo ne les a pas assurés de sa participation, et finissent par se retirer du projet ; la MGM, qui débute le tournage de Quo Vadis, a réservé tous les studios de Cinecittà et Wanger ne peut pas grand chose face à la puissance de la major ; le Hays Office annonce au producteur que le script n'est pas acceptable ; et enfin Max Ophuls doit repartir en France dès le mois de novembre pour tourner La Ronde.

Walter Wanger donne une conférence de presse en janvier 1950 annonçant que le tournage débutera dès le printemps suivant mais, malgré toutes ses tentatives auprès des grandes majors américaines, il n'arrive pas à trouver les fonds nécessaires pour mener à bien son projet. Greta Garbo, de son coté, a perdu tout intérêt pour le film et préfère mettre un terme à son contrat. Exaspérée d'avoir perdu autant de temps dans la préparation d'un film, l'actrice rentre à New York où elle jure auprès de ses proches qu'elle ne tournera plus jamais. Après ce rendez-vous raté, Greta Garbo se fait plus discrète que jamais et tire un trait, définitif cette fois-ci, sur le monde du cinéma. Les années vont passer, les gens vont continuer à l'admirer, espérant la revoir sur grand écran. Mais c'est fini, la Divine n'existe plus que sur la pellicule de ses films en noir et blanc et les projets tant rêvés par Billy Wilder, Max Ophuls ou Luchino Visconti nous font regretter qu'elle ait quitté si vite le monde du cinéma.

Restent ces screen-tests qui sont les dernières apparitions de la Divine devant une caméra. Ils témoignent de la beauté et de l'élégance de Garbo, de son incroyable photogénie et du mystérieux rapport qui s’était établi entre elle et la caméra.

3 commentaires:

kranzler a dit…

J'ai appris des choses, Baron, et je vous en remercie. Je la connais finalement peu, Garbo. Je n'ai vu que son dernier film, ado, que j'ai aimé. L'hisoire a voulu que je lui préfère Marlène, tout comme la meme histoire a voulu que sois allergique à cette pute, à cette gueule à gifle de Crawford - car il faut appeler les actrices par les noms qu'elle méritent.

Comme disait je ne sais plus laquelle d'entre elles, à propos du personnage de Norma Desmond dans Sunset Boulevard : "nous étions toutes poufiasses, mais aucune n'était aussi cinglée"

charlus80 a dit…

Ravi de retrouver cette signature, inchangée dans son ton...

Anonyme a dit…

un visage fascinant un peu masculin, j'ai lu qu'elle avait aussi été pressentie pour jouer Dorian Gray dans "Le portrait de Dorian Gray"